Eric D. Widmer

Widmer,E. and Galli-Carminati (2006).In: G. Galli Carminati, A. Mendez(Eds). Caractéristiques du réseau socio-familial chez la personne avec retard mental à travers la perspective du patient: un défaut ou un abus de famille?. Editions Médecine et Hygiène, Genève, pp. 119-125.

Souvent, les recherches en psychiatrie font la part belle aux problèmes et à la perspective des membres de la famille du patient, plutôt qu’à celle de ce dernier. Du point de vue de la famille, des sentiments de surcharge et burn-out liés à la présence du handicap mental se font jour, qui amènent parfois à un désinvestissement. Mais qu’en est-il du point de vue du patient ? Il existe fort peu de recherches centrés sur les liens familiaux des individus avec retard mental et troubles psychiatriques, en partant des réponses des patients eux-mêmes. Dans quel réseau de relations familiales les patients sont-ils selon eux intégrés ? Se perçoivent-ils comme soutenus par leur famille ou au contraire comme relativement laissés à eux-mêmes, voire comme en conflit avec elle ?

De manière à en savoir plus sur la manière dont les individus avec retard mental perçoivent leur famille, nous avons mené une recherche en 2004, qui a porté sur 24 patients de l’updm, âgé entre 16 et 60 ans, avec un retard mental léger et des troubles psychiatriques, en les comparant avec un échantillon contrôle, composé d’individus sans retard mental et sans troubles psychiatriques avérés. Qui le patient inclue-t-il dans sa famille significative ? En d’autres termes, de qui est constitué le réseau familial des patients ? Et quelles relations perçoit-il entre ces personnes ? Telles sont les questions que nous désirons aborder.

Capital social et liens familiaux

Nous sommes partis du postulat que les liens familiaux sont un capital, une ressource. Plusieurs études ont montré l’importance du lien familial pour le parcours des individus, ayant ou non un diagnostic psychiatrique (voir par exemple, Furstenberg et Kaplan, 2004). Ceux d’entre eux qui sont entourés de relations positives, sans pour autant être intrusives, se portent mieux sur le moyen et long terme. Les sociologues ont mis en avant, de ce point de vue, deux types de capital social basé sur les liens familiaux.

Un premier type de capital social, de type « chaîne », est surtout présent dans des réseaux familiaux dans lesquels la majeure partie des personnes interagissent les unes avec les autres. Plusieurs recherches sociologiques ont montré que ce type de configurations relationnelles fait augmenter les attentes, les droits et obligations, ainsi que la confiance existant entre les membres du groupe, car tous se connaissent. Elle fait aussi augmenter les intrusions du groupe dans la vie de chacun. Dans les réseaux familiaux de ce type, tant le soutien que le contrôle prennent une dimension collective puisque plusieurs individus sont amenés à coordonner leurs efforts dans l’aide qu’ils apportent à autrui.

Une seconde conceptualisation du capital social souligne l’importance de la fonction de liaison ou de « pont » des relations sociales. Le capital social est alors conçu essentiellement comme la capacité de l’individu à se placer dans une situation d’intermédiaire. La faiblesse, voire l’absence de liens entre certaines personnes dans un réseau permet à d’autres, celles qui sont centrales, de contrôler les flux d’informations et le projet qui rassemble ou motive les membres de la famille. L’individu constitue alors le centre d’un réseau de relations en étoile.

Les changements survenus dans le domaine de la famille durant ces quarante dernières années (divorces, remariages, cohabitations en dehors du mariage, etc.) ont contribué à grandement individualiser les liens familiaux, et donc à changer le type de réseaux familiaux dans lesquels les individus évoluent, en accordant plus d’importance au capital social de type « pont » par rapport au capital social de type «chaîne ». En effet, dans de nombreuses familles, recomposées notamment, chaque individu construit des relations tout à fait spécifiques avec les autres. Le modèle « chaîne », dans lequel le réseau familial est constitué de personnes étroitement liées les unes aux autres, est actuellement en perte de vitesse. A noter que les deux modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients: le capital social de type « chaîne » garantit une certaine solidarité collective, mais peut devenir très intrusif ; le capital social de type « pont » laisse beaucoup d’autonomie à l’individu mais l’intègre dans des relations aux orientations parfois contradictoires. Qu’en est-il alors des familles ayant à faire face au handicap mental associé à des troubles psychiatriques ?

Qui est ma famille significative ?

Quel type de capital social les individus avec retard mental et troubles psychiatriques trouvent-ils dans leur famille? En suivant la procédure du Family network method (Widmer, 1999 ; Widmer & La Farga, 2000), nous avons d’abord cherché à repérer de qui était constitué la famille des patients. Or, nous avons constaté (Widmer et al., en évaluation) que les patients définissent leur famille significative de manière très spécifique : aucun d’entre ne cite un partenaire et un seul cite un enfant comme membre significatif de sa famille. Les parents sont également moins mentionnés, spécialement les pères. Ces déficits sont compensés par l’inclusion dans la famille subjective de certains membres du personnel soignant. L’importance des thérapeutes comme membres de la famille doit être soulignée. On assimile trop souvent, et trop rapidement sans doute, la psychologue, l’assistante sociale ou la psychiatre à des rôles exclusivement professionnels. Or, c’est bien la dimension interpersonnelle et relationnelle de son rapport à ces personnes qui compte pour le patient, et qui peuvent, dans certains cas, compenser le manque de contacts ou de proximité sentimentale avec la famille d’origine.

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